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2002

Le pays du fromage ressemble par certains côtés à Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais. Foudroyant, tel est le mot qu’il faut employer pour le décrire. Ici, aucune concession à la bienséance : voilà qu’une jeune femme quitte la capitale pour se réfugier dans la maison de ses parents et de ses grands-parents. Mangeant à peine, vivant dans un état incertain entre le délire, le rêve et le réel, l’héroïne se laisse aller lentement vers la mort, qu’elle connaitrait à coup sûr si des âmes charitables – bien qu’intéressées aussi par son corps! – ne venaient pas régulièrement lui rendre visite pour la sustenter et aussi la sortir de sa torpeur.

Tout au long de sa réclusion, l’héroïne s’enfonce dans un monde imaginaire et riche qui est aux antipodes de son absolu dénuement. Il est foisonnant, anachronique et étonnant.

Ce roman d’abord écrit en roumain puis traduit en français par l’auteur, ne peut laisser quiconque indifférent. Les lecteurs seront au choqués ou emportés par cette écriture qui charrie avec elle, dans un même mouvement, l’immonde et le sublime.

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2000

Dupa focurile de artificii ale postmodernismului si experimentelor de tot felul care marcheaza literatura ultimelor decenii, Felicia Mihali are curajul sa scrie realist, abia deghizind numele personajelor sale, foarte cunoscute de altfel, sub transparente anagrame. Exista in Eu, Luca si chinezul doua romane a caror coeziune e asigurata de personajul narator, marcat puternic de trasaturi autobiografice : pe de o parte, este vorba de evolutia personajului principal in lumea presei scrise, in care tine o rubrica de stiri culturale intotdeauna sufocata de stirile de ultima ora, de noutatile de senzatie si de cancanuri despre oameni politici sau personaje la moda. Pe de alta parte, incrustata ca o piatra pretioasa in interiorul acestei materii dure si cenusii a existentei sale publice, o poveste de dragoste intre tinara femeie-narator si Yang, un chinez care face in Romania un stagiu de medic. Aceasta poveste de dragoste al carui anotimp pare sa fie toamna, de la inceput pina la sfirsit,  este marcata de semnul esecului inca de la prima intilnire a celor doi.

Scriitura Feliciei Mihali, o data mai mult, nu isi dezamageste publicul. Realist, vadind un simt al observatiei si al detaliului aproape nefiresc, jucind in acelasi timp pe registrele umorului, ale cinismului si ale poeziei, romanul Eu, Luca si chinezul merita intreaga atentie a cititorului.

Notice bio-bibliographique :

Née en Roumanie, le 20 août 1967, Felicia Mihali est diplômée  en philologie (1995) et en études chinoises et néerlandaises (1997) à l’Université de Bucarest.
Pendant sept ans (1993-2000), elle a été  chroniqueur de théâtre au  quotidien bucarestois, «Evenimentul zilei» (L’Événement du jour), puis en 2000 elle a choisi de vivre  au Québec. En 2001 elle a obtenu  un Certificat en Histoire de l’Art à L’Université de Montréal. Deux ans plus tard, en 2003 la même université montréalaise lui a  accordé le titre de Maître ès lettres, avec un mémoire portant sur la littérature postcoloniale.
En  2003 Felicia Mihali  est partie en Chine où elle est restée un an pour travailler comme professeur de français. Recevant une  bourse de création  du Conseil des arts et des lettres du Québec en 2004 pour le projet du roman « La Reine et le Soldat », elle publie ce volume en 2005. Felicia Mihali est rédacteur en chef de la revue culturelle on line « Terra Nova Magazine »  (www.terranovamagazine.ca)

Livres publiés en Roumanie :
« Tara brînzei », Bucarest, Ed. Image, 1998
« Mica istorie », Bucarest, Ed. Image, 1999
« Eu, Luca şi chinezul », Bucarest, Ed. Image, 2000

Livres publiés au Canada :
« Le Pays du fromage », Montréal, XYZ éditeur, 2002
« Luc, le Chinois et moi », Montréal, XYZ éditeur, 2004
« La reine et le soldat »,  Montréal, XYZ éditeur, 2005

Même si elle vit au Québec depuis sept ans seulement, Felicia Mihali s’est imposée dans « la belle province » par ses trois romans en français, qui lui réservent une place de choix parmi ceux qu’on appelle « écrivains migrants », comme Marco Micone, Sergio Kokis ou Abla Farhoud.
En fait, Felicia Mihali – que j’ai eu le plaisir de rencontrer au Congrès du C.I.E.F. organisé à Sinaia en 2006 – est beaucoup plus qu’une « migrante », car elle conserve les deux versants de son identité créatrice. C’est au sujet de ce rapport particulier entre ses écrits de la période roumaine et sa création en français que la jeune romancière montréalaise m’a fait l’amitié de réfléchir, pour ce numéro spécial de notre revue, autour de l’autotraduction.

Elena -Brandusa Steiciuc : -Lorsque vous avez décidé de quitter la Roumanie, Felicia Mihali, vous étiez déjà un jeune auteur à succès, surtout si nous pensons à « Tara brînzei », roman salué par la critique. Qu’est-ce qui vous a déterminée à traverser l’océan et à vous installer dans un nouveau pays, dans une nouvelle langue ? Saviez-vous à l’époque  que cet événement de votre biographie allait déclencher la genèse de votre œuvre en français ?

Felicia Mihali : – Je le savais évidemment, car je l’avais prévu. La raison pour laquelle j’ai laissé derrière mon vécu en Roumanie a été mes livres. Je n’avais pas envisagé toutes les difficultés que le déménagement dans un pays parlant une autre langue impliquerait, mais j’étais prête à tout. J’étais plus jeune aussi, car maintenant, même pour moi, ce trajet me semble trop épineux pour  qu’un auteur le suive : je conseille aux auteurs de ne faire le pas que s’il est impérieusement nécessaire. Je vous dis une banalité, mais nous savons tous que la littérature est étroitement liée à la langue. En immigrant, vous perdez justement l’outil que vous utilisez le plus; acquérir un autre langage et le maîtriser à la perfection, cela implique non seulement de grands efforts, mais également des renoncements. Je pense qu’aucun auteur ne sera capable des mêmes prouesses à l’écrit dans une autre langue et qu’il n’y a rien qui remplace la dextérité et la facilité à s’exprimer dans la langue maternelle. Dans la nouvelle langue, la forme du texte est  toujours pire que dans la langue maternelle. Mais ce que l’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre. Si la forme est plus pauvre, le contenu est sûrement plus riche. Et cela vous pousse vers l’avant. On se résigne à ce que la langue de création soit  un amas de clichés que l’on apprend petit à petit, avec beaucoup de pratique et d’application. Voilà la tâche que je me suis imposée et que je suis scrupuleusement.

E-B. S. :-Vous avez pratiquement traduit vous-même en français vos textes publiés en Roumanie, à savoir « Tara brînzei » et « Luca, chinezul şi eu ». Parlez-nous de cette expérience de l’autotraduction, telle que vous l’avez pratiquée ou la pratiquez encore. En tant que traductrice de vos propres textes, les avez-vous re-créés, remodelés, voire re-construits  en langue-cible, ou bien vous vous êtes imposé un certain parallélisme, une fidélité au texte-source ?

F.M. – Ce choix m’a été imposé par la nécessité. J’ai commencé à traduire mes textes au lendemain de mon arrivée, comme palliatif à la dépression, au manque de confiance qui caractérise chaque immigrant lorsqu’il se réveille dans un bâtiment où il ne comprend ni les sons ni les bruits. Mes livres étaient ce que j’avais amené de plus important dans mes bagages et j’étais pressée de les faire revivre. En les lisant en roumain, je vous avoue sincèrement que je ne les aimais plus : ils me semblaient fades par rapport à la nouvelle réalité et je me demandais, avec grande peine, qui serait intéressé par des histoires qui parlent de la détresse roumaine, à la ville comme à la campagne. La traduction vers le français les a chargés de mystère, les mêmes phrases et images rédigées en d’autres mots parlaient un peu d’autre chose. Le pire était que je savais combien difficile serait de convaincre les éditeurs d’ici de la valeur de mes écrits, s’il y en avait une. Ce que je me suis promis avec entêtement a été de ne rien changer dans mes textes. À part quelques phrases que j’ai ajoutées au Pays du fromage, pour que le lecteur étranger comprenne mieux les affres du communisme, et quelques pages que j’ai supprimées dans Luc, le Chinois et moi, car trop descriptives, j’ai fidèlement préservé l’original. C’est un devoir de respecter l’intégrité des textes : l’auto traduction doit être aussi fidèle que la traduction par un autre, elle doit respecter le texte comme étant celui d’autrui. En me traduisant, je voulais me voir résonner dans une autre langue, mais je ne voulais rien changer, politique que j’ai appliquée pour tous mes livres. La rencontre avec la nouvelle langue s’est produite sur et dans mes textes, car je me réveillais devant la dure réalité que ce qui était beau en roumain ne l’était plus en français. D’autre part, j’étais surprise qu’en français certaines choses peuvent être dites d’une manière plus concise et même plus évocatrice. L’autotraduction n’est pas un jeu de hasard : on sait qu’on perd, mais il faut s’assurer qu’on gagne autant.

E-B. S.  – « Tara brînzei », votre premier volume publié en Roumanie, semble reposer sur le cioranien « inconvénient d’être né » dans un pays obscur, auquel l’héroïne a du mal à s’adapter, surtout à ses odeurs très persistantes, comme celle du fromage, leitmotiv du texte. Quittant la capitale à la suite d’une crise maritale et de son licenciement, la narratrice revient dans le village presque désert de ses ancêtres et vit pendant quelque temps dans la maison de ses parents et de ses grands-parents. Tout tombe en ruine autour d’elle, qui s’engouffre dans une sorte de torpeur, d’aboulie d’où rien ne peut la tirer ; elle vit dans un monde de fantasmes où des images d’ancêtres se mêlent à des figures mythiques, dans une tentative d’identification de la jeune femme à ses aïeules, dont la relation de couple était gouvernée par la violence. Tout cela dans un pays fruste où « tout était estimé selon la valeur du fromage et tout sentait le fromage ». Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre, véritable cri d’une inadaptation extrême ?

 

F.M. – Le pays du fromage a eu une genèse étendue sur plusieurs années et correspond à plusieurs plans artistiques et personnels. J’ai travaillé à ce roman pendant deux ans, mais avec de très grandes pauses, dues au fait que j’étais trop occupée par mon travail au journal et à l’école. J’ai intensifié le travail lorsque j’ai fini mes études, soit après 1997.  Comme genre littéraire, je sortais de l’école un peu fatiguée du postmodernisme et du fait que je ne savais pas encore ce que cela voulait dire exactement. Ce que je savais en revanche, c’était que je ne voulais pas être une auteure postmoderne. Après le maniérisme et le mélange surréaliste de ce mouvement, il me semblait que la littérature devait finalement revenir à un réalisme sincère, à des histoires modestes, ouvrant des chemins aux domaines parallèles à la littérature. Il me semblait que l’histoire comme telle devait rester simple en apparence, mais incommensurablement compliquée en profondeur. L’art de l’écrit me semblait prêt à être métissé avec le cinéma, le théâtre, la peinture, et même la politique. La littérature était devenue pour moi le carrefour de tous les arts, car si l’être humain est encore capable de tout dire c’est surtout à travers la parole qu’il le fait. Il ne fallait donc pas appauvrir cet art, mais l’enrichir de choses nouvelles, lui donner une chance par son renouvellement. Je ne sais pas si j’ai réussi, mais j’ai fortement essayé de semer dans mes livres des  bribes du passé et de l’avenir, du proche et du lointain, du mien et de l’autre. À cet effet, j’ai profité de mon expérience de journaliste culturelle, en contact avec le milieu artistique mais politique aussi. À l’époque, je touchais à presque tous les domaines artistiques de la capitale roumaine et, de plus, je lisais beaucoup de journaux. Je lis encore la presse avec la passion qu’on met dans un roman policier. J’ai voulu rassembler cette vision globalisante avec une expérience terrestre, charnelle. Les deux se faisaient réciproquement supportables. Quelque farfelu que cela puisse paraître, il me semblait qu’en Roumanie plus qu’ailleurs, les auteurs devaient se faire le porte-parole de la société, de leur génération et de leur peine. Se tenir à côté à l’époque me semblait une lâcheté. Je ne veux pas être une auteure engagée, mais attentive et honnête. En restant passif, on laisse les canailles vous diriger, impunis. Sur le plan personnel, Le pays du fromage est aussi une histoire liée à ma biographie, car le livre a été conçu entre un divorce qui m’a laissée épuisée, et une époque de grande paix. Après de grandes peines, j’ai compris que les ressources sont en nous-mêmes et qu’une femme vaincue est un péché contre le Dieu de la création qui voulait qu’Ève continue à travailler pour nourrir sa progéniture.

E-B. S. :-Quelles ont été les difficultés majeures dans l’activité de traduction de ce roman, auquel la critique québécoise a trouvé une ressemblance avec « Une saison dans la vie d’Emmanuel », célèbre ouvrage  de Marie-Claire Blais ? Votre texte, même s’il place l’héroïne dans une atmosphère plus ou moins intemporelle, où les précisions spatiales sont peu nombreuses, donne au lecteur étranger une image de la plaine roumaine et d’une civilisation balkanique en train de disparaître. Certains détails demandent des explications pour les lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec cet espace, par exemple la note de la page 96, sur le mot « colac ». Avez-vous buté sur des difficultés insurmontables ou bien cette opération s’est passée sans beaucoup de contraintes ?

 

F.M. – La manière de laquelle j’ai mené cette bataille de conquérir le public québécois me semble maintenant une étrange contradiction. Je voulais désespérément publier dans ce pays, car cela était mon but déclaré dès mon départ. J’aurais pu rentrer évidemment, le retour au pays ne m’aurait pas affectée personnellement, mais cela aurait été la preuve que mes livres ne valaient rien. Cela aurait été le plus dur à supporter, car autrement je n’ai jamais été sensible aux on-dit. Je travaillais, donc, avec acharnement à la traduction sans jamais penser que peut-être, pour réussir, il aurait fallu réinventer et réécrire. Je n’ai jamais pensé à trahir mes livres et à me renier moi-même, mon passé et mon vécu. Avec un orgueil dangereux je pensais que le public devait être amené vers ces livres sans détour et sans concession à la mode littéraire. À quarante ans, plus chevronnée  et moins naïve, cette rigidité me surprend. Toutefois, je ne ferais jamais autrement. À l’apparition de mon deuxième romanLuc, le Chinois et moi, j’ai failli rompre avec mon éditeur. Il voulait que je renonce aux chapitres concernant l’histoire du journal. Lui, il était intéressé par la réception critique, moi par la fidélité. Je lui ai dit que tout ce que je pouvais faire était de réduire de quelques paragraphes, mais que le roman resterait tel quel ou on ne le publierait pas du tout. Je pense que la bonne réception d’un auteur tient aussi de sa dignité à défendre ses livres. Tôt ou tard, on arrive à regretter la trahison, les retouches, la concession. S’il n’est pas trop tard, un écrivain arrive à comprendre qu’il a aussi un devoir, et que l’honnêteté est son plus grand allié. Je ne ferai jamais rabais de mon identité, la vraie.

E-B. S. : – Le dernier en date de vos ouvrages, « La reine et le soldat », est en même temps le premier d’une série (que nous vous souhaitons très longue !) où vous vous attachez à écrire directement en français. En lisant ce superbe roman on ne peut pas rester indifférent à la minutie et à la majesté de la reconstitution historique, à la mise en parallèle du passé et du présent, à ce face à face permanent entre Orient et Occident. En fait, vous y  reconstituez avec les moyens du prosateur une époque ancienne de l’histoire des Perses, immédiatement après la conquête du pays par Alexandre le Grand. Sur cette toile de fond se déroule la rencontre des deux personnages, la reine Sisyggambris, mère de Darius, et le jeune soldat grec Polystratus, chargé de la garde du palais et donc des appartements de la reine. L’attraction entre les deux est  inévitable, car  la reine, même vieille femme,  symbolise aux yeux du soldat rustre et mal odorant le comble du raffinement oriental, alors que pour elle, il représente la force virile du conquérant. Votre roman joue également sur le parallélisme entre passé et présent et de nombreux clins d’œil renvoient à l’actualité du début de ce millénaire, comme la guerre en Irak (« Alexandre délivrait des peuples qui ne voulaient pas être délivrés…Ceux qui s’avancent trop  sur le territoire des autres ne sont en aucun cas des libérateurs », p. 139) ou comme ce terrible « clash » des civilisations, qui oppose de plus en plus Occident et Orient. Est-ce que votre première expérience comme écrivain de langue française s’est complètement passée du soutien de votre langue maternelle ? Avez-vous complètement renoncé à l’autotraduction pour « La reine et le soldat » ? Quels ont été les défis d’une telle rédaction ?

F.M. – Pour ce roman, j’avais un petit noyau de cinquante pages environ en roumain. J’ai commencé ce livre à l’époque de mes études en néerlandais, lorsqu’un de mes professeurs m’a  donné en cadeau le livre de Louis Couperus, Iskenderun. Aucun Occidental ne peut se passer de cette vision glorieuse du grand conquérant qui avait poussé les limites du monde connu, et à qui on attribue les atours d’un civilisateur. Je me plaisais à ce travail de glorifier un héros. Au Québec, pendant les trois premières années, j’ai laissé de côté ce roman, car je n’avais pas le temps de m’y pencher. J’étais occupée avec mes études de maîtrise et aussi avec la traduction de mes propres livres. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi j’ai recouru à cette stratégie de publier d’abord les œuvres roumaines, en traduction. Peut-être que d’une certaine manière je voyais mes anciens livres comme des pions de sacrifice, je savais que même si la réception était bonne, cela ne voulait pas dire grand-chose pour moi. Entre temps, il y a eu le 11 septembre, la guerre en Afghanistan, la guerre en Irak. En plus, ma vision d’immigrante, de quelqu’un appartenant aux communautés culturelles, aux plus faibles, avait changé ma manière de regarder Alexandre. Mon amour pour lui avait flétri. Il ne me semblait rien d’autre qu’un aventurier, car de sa campagne en Asie rien n’est resté à part quelques toponymes. La gloire d’Alexandre est due à cette tragique réalité que l’histoire est écrite par les vaincus, et que pour envahir et détruire les plus faibles on n’a besoin que d’un insignifiant prétexte. De retour de Chine, j’ai recommencé ce livre avec grand appétit, renonçant à beaucoup de détails du projet originel. J’en savais plus qu’avant sur ce monde. Si ce n’est que pour ces expériences, mon départ de Roumanie vaut le coup. Dans ce roman, je pouvais maintenant parler de l’Asie, comme je l’ai perçue en Chine, de mon expérience d’immigrante et du travail d’embrasser une autre langue, de ma révolte et de mon impuissance, de ma colère. Ça a été un drôle de spectacle de voir que tous savent, qu’on s’indigne devant la télé, mais qu’on ne peut rien faire contre les agresseurs. Ce roman a été mon humble protestation. Elle est peut-être difficile à repérer dans le luxe de la description, mais elle est toujours là.

 

E-B. S. – Une dernière question, portant maintenant sur l’avenir : quoi de neuf dans votre chantier de travail ? Quels nouveaux titres réservez-vous à vos lecteurs, que ce soit au Québec, en Roumanie et dans tout le monde francophone ?

 

F.M. – Je me considère  une auteure heureuse, car j’ai encore plein d’idées, mais je n’ai pas assez de temps pour les réaliser. Cela me stimule cependant, car rien n’est plus grave qu’un auteur sans idées. Mes projets d’avenir sont évidemment rédigés directement en français. J’attends encore le verdict de mon éditeur sur Sweet, Sweet, China qui devrait paraître au mois de novembre de cette année, mais on ne sait jamais. Ensuite, je travaille à un roman qui s’appelle Dina, et qui est encore une fois lié à la Roumanie. Mais comme je le disais, je ne renoncerais jamais à un livre qui vient vers moi avec générosité et beauté, pour la raison que la Roumanie est loin du Canada et que cela pourrait ne pas intéresser le public d’ici. Je suis sûre qu’un bon livre intéresse toujours. Mon seul souci est donc de faire de mon mieux. Je ne peux nier ce que je suis, car les autres le savent autant que moi. Au mois de mars, je suis allée en Italie, à l’Université de Calabre, invitée par Gisèle Vanhese, une personne remarquable, également aimante de la culture roumaine et française. À cette occasion, j’ai pu participer à un colloque dans un village d’Albanais, réfugiés en Italie au XV-ème  siècle pour fuir l’Empire Ottoman. Le sujet de ce colloque était principalement  axé sur la tradition balkanique, en l’occurrence une fameuse ballade populaire albanaise, Constantin et Doruntina. Nous avons été surprises, Gisèle et moi, de constater  combien j’étais encore liée à cette tradition balkanique. Comme preuve, dans mon dernier roman j’utilise une phrase issue du roman d’Ismail Kadare, Qui a ramené Doruntina, qui parle justement de la légende d’une sœur ramenée à la maison par le fantôme de son frère.  Gisèle, avec son œil de spécialiste, a décelé plus que moi mon vrai filon. Même les questions de ses étudiants m’ont aidée à savoir qui je suis vraiment. Mes projets seront donc en accord avec cette tradition, et avec ce qui s’y ajoutera en cours de route.

 

E-B. S. – Au nom des lecteurs d’ATELIER DE TRADUCTION, un grand MERCI, Felicia Mihali !

Publié dans la revue ATELIER DE TRADUCTION, Les Éditions de l’Université de Suceava, avec le soutien de l’AUF et de l’Union Latine, no. 7, 2007, p.15

Par Elena-Brandusa Steiciuc

Alliant carnets de voyage, données historiques et rêveries, Felicia Mihali livre un portrait résolument intime de la Chine et des mouvances intérieures des immigrants dans Sweet, sweet China.

«Ce livre fut écrit en tant que manuel de sauvetage pendant mon naufrage sur l’île de la Chine» peut-on lire à la fin de l’étonnant roman de l’auteure québécoise d’origine roumaine, Felicia Mihali (Le pays du fromage).

«Quand je suis partie en Chine, je n’avais pas du tout l’intention d’écrire un livre, confirme l’auteure qui fut appelée à se rendre là-bas, en 2002, afin d’aider des groupes de Chinois dans leur demande d’immigration au Québec. «J’étais au Québec depuis trois ans et, ce n’est pas que je ne trouvais pas ma place mais je me posais des questions. Est-ce que j’ai bien fait de venir ici? Devrais-je retourner en Roumanie? … Je pense qu’il est sain que chaque immigrant se questionne sur sa nouvelle identité.»

L’auteure a donc sauté sur l’occasion de renouer avec ses études de chinois pour entreprendre une quête initiatique de 10 mois. «Ce fut un véritable retour dans le passé, relate Mihali, qui a vécu 23 ans sous le régime communiste dans son pays natal avant d’émigrer au Québec. «Pékin m’est apparue comme un Bucarest multiplié par 10. J’ai alors commencé à écrire, à tenir un journal et à prendre des photos, pour ne pas sombrer, tant j’étais perdue. Je regardais beaucoup tous ces westerns chinois à la télé qui essaient de récupérer un passé détruit. J’entendais aussi des histoires que me racontaient mes étudiants. J’ai eu alors très envie de faire un album d’art, un projet à la fois littéraire et visuel avec tout ça.»

Le pari semble impossible et pourtant, Felicia Mihali réussit avec virtuosité et intelligence à lier cette matière, transformant de simples carnets de voyage en véritable oeuvre littéraire foisonnante. Ajoutant une touche de réalisme magique, créant des entités traversant le temps, l’auteur fait entrer son alter ego, Augusta, en Chine comme dans un palais des miroirs où les épouses d’empereur, comme les étrangères, se cachent dans les replis d’encre des estampes, pendant que les étudiants chinois se perdent en conjectures à tenter de comprendre comment entrer au Québec.

«Je trouvais intéressant que la Chine soit découverte à travers les sens empiriques, poursuit-elle. En ce qui a trait aux photos, je ne voulais pas simplement souligner le propos. À l’aide d’une amie artiste en arts visuels, j’ai utilisé la technique du collage. Les photos sont donc un reflet de la technique narrative. L’aspect visuel reflète lui aussi une pensée cohérente, un discours.»

Au pays des mensonges

Si Felicia se renomme Augusta au sein du récit («je me sentais au mois d’août de ma vie», dira-t-elle), les extraits de son journal, eux, demeurent inchangés. Aucune contrefaçon donc dans cet ouvrage mais beaucoup de fantaisie et de mirages. «J’ai voulu rendre la frontière entre la réalité et la fiction très floue, explique l’auteure, si bien qu’on ne sait pas où sont les mensonges.»

C’est peut-être d’ailleurs le seul clin d’oeil que se permet l’auteure au régime communiste, un sujet planant comme un fantôme au-dessus des pages sans jamais s’y poser réellement. «Le communisme est un régime où la liberté ne fonctionne pas vraiment, répond Mihali lorsqu’on la questionne sur sa réserve. Or, dans mon travail, je devais aider les Chinois à répondre à la question: pourquoi voulez-vous partir? Vous comprendrez que la question était doublement délicate.

«J’aurais voulu pouvoir me moquer de certaines choses, en parler du moins, poursuit-elle. Mais connaissant le système, je savais qu’il peut toujours y avoir, même parmi mes étudiants, quelqu’un qui risque de rapporter ce que j’ai dit. Ici, on ne sent pas l’appareil oppressif. On associe la Chine à la mauvaise marchandise. Mais le régime, là-bas, ça fonctionne. La peine capitale, les emprisonnements, ça existe. Alors, il faut bien tenir sa langue. On ne parle pas de politique là-bas. De même qu’on ne joue pas avec le communisme.»

L’esprit et l’originalité de l’oeuvre n’empêchent pas l’auteure de glisser certaines notions historiques judicieusement choisies, nous ouvrant la porte sur un monde magique ayant des assises dans la réalité. Mais surtout, Sweet, sweet China effleure avec tendresse les vertiges identitaires des nouveaux nomades, les immigrants.

«Tout comme pour le personnage d’Augusta, la Chine fut pour moi la cime d’un triangle qui réconcilie les deux parties de mon identité, l’identité roumaine et québécoise, témoigne Mihali. Ce fut d’ailleurs un choc de découvrir que j’appartenais finalement aux valeurs de l’Ouest. Cette aventure m’a donc permis d’échapper à la nostalgie. Mais voilà, pour vivre l’expérience de l’intégration, il faut être patient et ne rien brusquer…»

La Presse
Collaboration spéciale
Le dimanche 03 février 2008
Jade Bérubé

Littérature québécoise

Née en Roumanie, Felicia Mihali vit actuellement au Québec, où elle a fait une entrée fort remarquée sur la scène littéraire avec Le Pays du fromage. Dans La Reine et le Soldat, fresque située au royaume des Perses vers l’an 330 av. J.-C., la romancière met en scène Sisyggambris, la mère du roi Darius, qui assiste impuissante à l’écroulement de son royaume conquis par les troupes d’Alexandre le Grand, de Macédoine. Séduite par un jeune soldat grec dénommé Polystratus, la reine perse suivra celui-ci jusqu’en Grèce, où elle sera amenée par la force des choses à comparer leurs deux civilisations. Roman historique, roman d’amour, certes, mais aussi méditation sur l’impact de la guerre et sur la notion de barbarie — sujet contemporain s’il en est…

Troisième oeuvre de Mihali à paraître chez nous dans la langue de Molière, La Reine et le Soldat a connu une genèse bien particulière qui remonte au temps des études de la romancière dans sa Roumanie d’origine. C’est son professeur de littérature néerlandaise, raconte-t-elle, qui lui a offert le roman Iskandar de Louis Couperus : « J’avais beaucoup aimé ce livre, auquel j’emprunte un motif assez secondaire : le moment où, Darius vaincu, sa mère et sa fille deviennent les prisonnières d’Alexandre le Grand. La relation de Polystratus avec la reine n’existe pas chez Couperus. » Fière représentante d’une civilisation qui a dominé le Moyen- Orient pendant des siècles, Sisyggambris porte sur les envahisseurs de son royaume, ces brutes barbares venues de Grèce, un regard au début méprisant, qu’elle apprendra à atténuer au fil du récit. Compte tenu des racines grecques de la civilisation occidentale, cela apparaît un renversement de perspective assez intéressant. Qui plus est, en choisissant de raconter cet amour impossible entre la reine et un soldat fictif, Felicia Mihali s’offrait un terreau riche en potentiel romanesque : « J’aurais pu mettre l’accent sur la relation entre Sisyggambris et Alexandre, c’est vrai. Mais je me suis dit qu’Alexandre, qui avait été l’élève d’Aristote, était bien préparé pour rencontrer l’Autre, il était bien muni pour faire face à la reine. Je trouvais plus intéressant de donner à l’interlocuteur de la reine un niveau bien inférieur, de manière à lui faire acquérir une dimension d’éducatrice du conquérant. Voilà pourquoi je lui ai préféré le pauvre Polystratus. En fait, j’ai conçu mon roman autour de cette relation amoureuse entre deux personnes très différentes, qui l’une et l’autre feront l’expérience de l’exil. » De son propre aveu, Felicia Mihali n’anticipait pas que cette thématique de l’étranger plongé dans un milieu auquel on n’appartient pas tout à fait finirait par s’actualiser avec sa propre existence d’expatriée, qui a choisi de s’établir au Québec, en partie par amour pour la langue française : « Au début de mon livre, Polystratus est perçu comme un conquérant, un agresseur, mais pour lui aussi la vie n’était pas facile. Il a ses peurs, ses doutes, ce qui n’apparaîtra qu’un peu plus tard, au moment où il aura l’impression d’être plus familier avec les lieux. Car je crois que plus tu te familiarises avec les lieux de ton exil, plus tu es étranger. »

De l’actualité de l’Histoire

Qu’après deux romans plus manifestement proches de ses expériences personnelles, voire nourris d’expériences autobiographiques, Mihali choisisse de camper cette histoire dans le Moyen- Orient d’il y a presque trois millénaires peut avoir l’air d’une rupture dans son oeuvre. Elle en convient volontiers et renchérit même, mais avec certaines nuances : « Vous savez, malheureusement pour moi, un roman que j’ai publié en Roumanie entre Le Pays du fromage et Luc, le Chinois et moi n’a pas été publié ici, ce qui donne une image incomplète de mon travail. J’ai jusqu’ici toujours écrit selon un principe d’alternance entre des romans plutôt réalistes et des romans d’évasion dans un espace parfois historique, parfois intemporel. Après La Reine et le Soldat, je publierai Ma douce Asie, qui revient sur ma vie en Chine. » L’évasion, on veut bien, mais un roman à caractère historique n’impose-t-il pas, par sa nature même, un défi d’écriture, de recréation plus fastidieux que l’oeuvre campée dans un contexte contemporain ? En fait, selon Mihali, « le plus grand défi tient au fait que ces romans exigent beaucoup de documentation. Une romancière ne peut pas s’embarquer dans une telle entreprise si elle n’a pas le temps de lire les chroniques qui racontent l’époque où elle veut situer son intrigue. Et quand on veut recréer une époque, on doit aussi consulter des sources autres qu’historiques, on doit s’intéresser aux coutumes, à la littérature, à l’art militaire de cette époque. » Même si le décor de La Reine et le Soldat semble fort éloigné du nôtre, certains aspects de son propos n’en demeurent pas moins d’une actualité évidente, au lendemain de la guerre en Irak, d’où les forces d’occupation américaines ne semblent pas près de se retirer : « Je déteste ce cliché qui veut que l’Histoire se répète, mais en écrivant ce roman j’ai découvert qu’il y avait un peu de vrai dans cette affirmation, parce que l’homme ne change pas ou change si peu… C’est pourquoi il répète les mêmes erreurs, garde au fil des siècles la même façon de penser et d’agir. » La romancière se garde bien de juger le monde actuel selon une grille manichéenne, mais reconnaît que « quand les événements du 11 septembre 2001 sont survenus, quand la guerre d’Irak a éclaté, j’ai complètement changé d’avis sur les campagnes d’Alexandre en relisant les chroniques qui présentent un visage glorieux du conquérant. » Ainsi, le parallèle entre les occupants américains de Bagdad et les soldats grecs stationnés dans le royaume de Sisyggambris et perçus par elle comme des rustres et des barbares n’est pas fortuit : « Quand on relit entre les lignes les chroniques des campagnes d’Alexandre, on se rend compte que les choses étaient assez semblables à la situation actuelle, affirme Felicia Mihali. J’ai été choquée de découvrir le même manque de motivations, les mêmes fausses raisons d’envahir les autres, de les détruire sous prétexte de les civiliser. » Sachant cela, on ne s’étonnera alors pas que l’auteure puisse écrire que « la reine savait d’avance combien braves pouvaient être les Occidentaux pour qui la guerre constituait le métier le plus rentable », commentaire vraisemblablement applicable autant aux Grecs de l’Antiquité qu’aux Américains d’aujourd’hui.

Par Stanley Péan

 Questions for Felicia 

1. What brought you to Canada? Was it a conscious decision on your part? 

F.M.: I left Romania in 2000 after publishing three books that enjoyed an excellent reception. I was also working as journalist for the biggest Romanian newspaper, I was in love after a painful divorce, and I was happy. However, ten years after the fall of the communist regime I felt that we as a nation were not following the right path. An individual could not do much against a society ruled by corruption, lack of democratic practices, resentment and discrimination against women, minorities and religions. The problem, I think, with people that have lived for too long under a dictatorship is that they do not know the truth about themselves, nor about the world for that matter. Worst of it, they are not eagerly accepting any criticism whatsoever. In a way we were still living with the feeling we are the bravest, the smartest. Ceausescu did not completely die. He had taught us we were the best nation in the world and we were not willing to let it go. I felt disarmed, powerless in the face of this persistent ideology, so I decided to leave the country at least for a short period of time. Or maybe, I just wanted to try something else, to do better or just to prove that I’m really a good writer not only according to Romanian standards. 

Read the whole interview HERE

 

By Eniko Sepsi 

Revue d’Études Canadiennes en Europe Centrale. 

2022 

-Bonjour Félicia, pouvez-vous nous présenter à nos lecteurs ? Qui êtes vous ? Quel est votre parcours ? Le public des Éditions Hashtag ?

 

Née en Roumanie, je vis au Québec depuis 18 ans. J’ai commencé à écrire en roumain, ensuite j’ai renoncé à ma langue maternelle pour passer à la création en français et en anglais. Jusqu’à présent, j’ai publié neuf romans en français et deux en anglais, avec Éditions XYZ, respectivement Linda Leith Publishing. En parallèle, je me suis aussi consacrée au journalisme, en tant qu’éditeur en chef du magazine Terra Nova, et à l’enseignement du français et de l’histoire. Présentement, je relève un nouveau défi, celui d’éditrice, avec une maison d’édition que j’ai fondée avec une équipe formée de collègues et d’amis littéraires.

 

On vous connaît comme auteure, aujourd’hui vous êtes éditrice, comment fait-on pour passer d’auteure à éditrice ?

 

Je suis encore à mes débuts comme éditrice et cela peut être une bonne et une mauvaise chose en même temps. Le bon côté est le fait que, en tant que lectrice avisée, je demande aux autres ce que j’omets de faire comme écrivain. Comme écrivain, on est souvent désordonné avec nos idées et la manière de les exprimer, on fait des concessions aux longueurs inexpressives qui embourbent l’action. Comme éditeur, on apprend à couper dans le gras sans pitié. Et ceux qui ne veulent pas accepter cette manière impitoyable de travailler le texte ne peuvent pas publier chez Hashtag.  Le côté moins glamour est que ce travail dévore tout mon temps. J’ai le sentiment que pour les quelques années à venir, je vais pouvoir me consacrer moins à mes propre projets littéraires. J’espère toutefois que cette expérience sera des plus enrichissantes, et qu’elle va m’aider à devenir un meilleur écrivain.

 

Pourquoi êtes-vous devenue éditrice ? En quoi consiste le métier d’éditeur ?

 

Mon initiative est partie d’un état de mécontentement quant à la production littéraire québécoise et canadienne dans le sens large. Malgré notre grande ouverture spirituelle vers le monde, en matière de culture nous restons, je pense,  assez provinciaux, prisonniers des modes, des tendances, des amitiés, des voisinages, des traditions littéraires. On risque ainsi de rater un bon nombre d’auteurs moins publicisés à cause de leur faible rentabilité en matière de ventes. Des auteurs comme James Joyce, Marcel Proust ou Virginia Wolf, qui sont justement les fondateurs de la modernité littéraire, ne pourraient jamais publier de nos jours. D’ailleurs Virginia Wolf elle-même a fondé sa maison d’édition pour publier des textes qui n’avaient pas beaucoup d’appeal pour les éditeurs britanniques à l’époque. Je ne dis pas que ce qu’on publie au Québec et au Canada est mauvais, bien au contraire, sauf que le paysage manque cruellement de diversité. Et par diversité je ne dis pas seulement diversité ethnique mais aussi bien sexuelle ou générationnelle. Il est rare de voir un début à soixante ans, par exemple, ou à vingt ans. Et comme formation, on se fie surtout aux ressortissants des départements de création littéraire, ce qui donne des œuvres bien écrites mais sans trame narrative. Comme vous voyez, il y a beaucoup de lacunes à remplir, des espaces que peu d’éditeurs veulent explorer de ce côté-ci de l’océan. Nous voudrions donner voix aux bons auteurs et rester autant que possible loin du star-system qui domine la littérature tout comme le cinéma.  Allain Robe-Grillet disait qu’un éditeur publie des livres pour faire de l’argent, alors qu’un BON éditeur publie des livres que personne ne lit. Lorsque son roman Les gommes avait été publié dans la décennie cinquante, il s’était vendu à 400 exemplaires dans toute la francophonie. En même temps, la vague du nouveau roman, dont il faisait partie, avait rendu les Éditions de Minuit d’une petite maison débutante dans ce qu’elle est devenue maintenant, une des plus grandes institutions culturelles. Nous ne sommes pas aussi braves pour publier ce que personne ne lit, mais nous espérons cependant faire des découvertes toute aussi intéressantes que le nouveau roman dans les années cinquante.

 

Comment, selon vous, doit être la relation d’un éditeur avec ses écrivains ?

 

Pour le moment, mon expérience est assez limitée mais elle a été enrichissante des deux côtés. Si les jeunes écrivains que j’ai accompagnés se sont découverts comme auteurs, moi aussi j’ai appris à devenir éditrice et travailler sur un manuscrit qui n’est pas le mien. Pendant cette démarche, j’ai eu la chance de travailler avec des auteurs qui m’ont fait confiance et ont écouté jusqu’au bout les suggestions de réécriture. Avec les écrivains en général,  la tâche la plus difficile est de les convaincre qu’ils n’ont pas créé l’œuvre parfaite. Leur demander des changements est synonyme pour eux d’un harakiri. Ils faut accepter que les modifications ne sont qu’une chirurgie douloureuse pour le bien-être du corps entier.  Il y a certainement des exceptions à cette règle et nous sommes très ouverts pour publier l’œuvre parfaite, sans avoir à travailler dessus. Cela va nous sauver du temps et de l’argent. Ce que nous espérons fortement est de ne jamais être obligés de faire des concessions et commencer à publier les œuvres des amis, des personnes influentes, des ceux avec connections dans le milieu culturel. C’est cela qui tue l’industrie du livre et aucun éditeur ne peut échapper à ce système de réseautage.

 

Quel type d’auteur souhaiteriez-vous avoir dans votre maison d’édition ?

 

Nous sommes intéressés par la bonne littérature d’abord dans le sens un peu désuet si vous voulez. Nous aimons l’encyclopédisme, l’érudition, l’aventure spirituelle. Nous voulons fouiller dans les communautés ethniques, celles qui n’intéressent pas les autres éditeurs. Pour beaucoup, diversité ethnique veut dire minorité visible, alors qu’il y a une grande diversité ethnique blanche, complètement invisible. Ou sont les auteurs en provenance de la communauté bulgare, tchèque, polonaise, serbe, portugaise, ukrainienne, russe, iranienne, irakienne, syrienne, etc ? Dans le cas d’un écrivain, ce qui fait la différence n’est pas la peau mais la langue, or cela s’avère parfois un défi de taille. Les auteurs qui écrivent en français ou anglais, alors qu’à la maison ils parlent une autre langue, doivent faire face à beaucoup d’obstacles avant d’aboutir à la publication. Face à un tel manuscrit, un éditeur hésite pour des bonnes raison : leur manuscrit nécessite un travail de correction plus poussé et, de plus, la publicité sera entravée par l’accent d’un tel auteur. C’est tout à fait compréhensible, mais cela réduit vraiment les chances des auteurs migrants. Tout aussi désavantagées sont certaines minorités sexuelles comme les travestis ou les gens avec un handicap physique. On accepte les homosexuelles, mais on trouve encore que les queers sont un peu trop forts pour notre goût un peu bourgeois, quoi qu’on dise. Il y a aussi les très jeunes, des gens sortis de nulle part, avec un grand talent mais qui ne font par partie des castes et de groupes littéraires, qui ne se trouvent sous l’aile d’aucun grand écrivain qui ait dirigé sa thèse de maitrise ou de doctorat. En règle générale, on publie les professeurs d’université, les enseignants au collégiale, les journalistes, les gens de l’édition, les traducteurs, les animateurs, et d’autres acteurs de l’industrie du livre. Mais, selon les manuscrits qu’on reçoit, il y a une jeune génération québécoise si talentueuse et si peu visible, aussi peu visible que certaines minorités ethniques.

 

Quels sont les conseils que vous donneriez à un écrivain qui veut voir son texte accepté ?

 

Qu’il soit sincère dans son écriture, indifférent aux modes et courants littéraires.  Qu’il lise chaque jour après avoir fini sa période d’écriture. Qu’il soit humble, ouverte à la critique. Qu’il lise d’abord les livres de ceux qui dirigent Hashtag. Publier ce n’est pas tout. Si un auteur vient chez nous, c’est parce qu’il nous fait confiance : il veut publier avec nous parce qu’il nous aime et non pas parce qu’il a été refusé ailleurs. On ne publie pas ce qui est refusé ailleurs, à moins qu’on tombe sur des auteurs qui soient refusés justement parce qu’ils sont trop originaux ou parce qu’ils ne font pas partie des amis de la maison. Le livre peut être mal écrit ou achevé en proportion de 60%. Si on voit le potentiel, on est disposé à travailler avec l’auteur. Ce qu’on bannit chez nous ce sont les idées communes, la banalité, le bavardage, la platitude.

 

Quel est votre écrivain (e) préféré (e) et pourquoi lui ou elle et pas un (ou une) autre ?

 

J’en ai une panoplie, mais avec l’âge je me réfère toujours aux classiques qui restent aussi modernes et complexes. J’ai commencé mon apprentissage littéraire sous l’influence de Gogol,Tchekhov, Gombrowicz, Kadaré, Thomas Mann, Cervantès,Flaubert, Hesse, Pavese, Faulkner, Miller, Mailer, Berberova. Depuis mon arrivée au Canada, je me suis spécialisée en littérature postcoloniale où je suis tombée en amour avec des auteurs comme Salman Rushdie, VS Naipaul, Hanif Kureishi,Zadie Smith. Leurs œuvres font preuve d’une grande complexité toute en ayant un langage simple. On apprend, tout en se divertissant.

 

Le livre papier a-t-il encore de la valeur dans un monde hypernumérisant ?

 

Apparemment, oui. Les dernières études et statistiques montrent que le livre papier est plus en santé que jamais. Après des heures passées devant l’ordinateur ou l’écran du cellulaire, les gens ont vraiment envie de s’étendre au lit avec un livre dont les lignes ne glissent pas devant leurs yeux. La lecture est récemment devenue un moyen de repos contre l’agression cybernétique.

 

Que pensez-vous de l’autoédition ?

 

Je ne fais pas trop de confiance à l’autoédition, justement à cause du manque d’esprit critique et de la deuxième opinion. Je connais tellement d’auteurs qui s’auto-publient, mais leurs livres sont tout simplement illisibles. Je ne dis pas que cela ne peut donner de temps en temps de bons livres, sauf que je n’en ai pas encore rencontrés.

 

Un mot sur les prix littéraires ?

 

J’ai souvent été membre des jurys pour des prix ou des bourses littéraires, et j’ai toujours agi dans la bonne fois, essayant de ne jamais me laisser influencer par mes goûts littéraires ou mes sympathies personnelles. Je veux espérer que tous ceux et celles qui sont invités pour décider du sort d’un livre gardent en tête qu’on fait un travail pour l’avenir et non pas pour nos amis. Je n’ai pas été souvent déçue par les prix littéraires octroyés au Québec ou au Canada, à quelques exceptions près. Pour cela, je veux espérer que les jurys sont toujours formés des gens compétents et de bonne foi.

 

13-Est-ce que des écrivains pourront vous envoyer des livres pour traduction aussi ?

 

Nous ne publions que des œuvres originales, écrites en français. Les traductions se font à partir des œuvres publiées dans d’autres langues et cultures, ainsi que du Canada anglais.

Entretien réalisé par Nathasha Pemba
Le Sanctuaire de la Culture Publié le 15 octobre 2018 dans Conversations, par Nathasha Pemba

This week Québec Reads spoke with the author of A Second Chance, Felicia Mihali. Her novel tells the story of a Romanian couple in the impressively multicultural city of Laval. It’s spring 2012 and Adam is recovering from a stroke. His right arm has been left paralyzed and his memories are almost completely gone. Daily life with his (unnamed) wife is both deathly dull (trips to Costco and the mall) and full of fear (he’s too afraid to answer the phone, scared that people will speak to him in the language he has now forgotten).

Our first-person narrator is a difficult woman to get along with; spending too much time in her company can be draining. She’s the type of woman who says darned instead of damned, and has grown to like suburbia. Finding a job near her home is, in her eyes, a “heavenly gift.” But she disapproves of her daughter going on a Caribbean cruise and gives up smoking because buying cigarettes is too much of a nuisance. Damningly, not even her daughter getting engaged manages to lift the gloom. Hell is other people, she seems to be telling us; Hell is a Sunday afternoon at Costco.

Reading her dreary, meticulous descriptions is occasionally tiresome, although they are not entirely without irony and some degree of self-deprecation. In all, it’s a subtle journey, albeit one that is well worth making, particularly for the understated but powerful writing style. Our feelings for Adam and his wife have to be earned as the book develops, but by the end (thanks in no small part to the realism of Mihali’s world) we find ourselves caring for them both as real people—and are genuinely caught off guard by a twist in the tale that changes everything.

Felicia Mihali, what was it like for you as an author spending so much time in your character’s company? Just how ambivalent did you want us to feel about her?

For people who know me, there is no secret that the no-name woman in the story is me. I am someone deeply in love with my daily routine, with cooking, washing, and cleaning. After hours spent in front of the computer or reading on the sofa, nothing gets me more relaxed than tidying up. I have never been to a gym and never intend to go. Do you want to keep yourself in shape? Then clean your house and cook for your family, like in the good old days.

People might judge this woman as a petty or trivial being, always focusing on small things. But what else is our life made of if not small things?

When you know how to deal with small things you know how to deal with the bigger ones. That is how this woman can go on with her life after her husband’s stroke left her in charge of a 50-year-old man who is no wiser than an 8-year-old boy. While everybody around pities her, she decides to take the best part of this nightmare and look for good or even beauty everywhere, and mostly where there is regularly none. She chooses to be generous and careful. Her heroism lies in making a normal and worthy life for her crippled husband. The narrator says of her relationship with her husband: “The real solidarity has always been between the two of us. Adam and I felt good together. It was as though the presence of other people disturbed our subtle chemistry.”

I think this “subtle chemistry” is as true for the novel as it is for the couple. As a novel, it’s a slow-burner. It’s all written in neat, measured, balanced sentences, but beneath the precision and the cold realism, there is certainly a flame. Aside from The Darling of Kandahar—a top Quebec pick for Canada Reads—you wrote your earlier novels in French. Do you think you could have built this tension just as effectively in French or do you think the sparseness of the writing in English helps make the novel what it is? There is something pleasantly evocative about lines like this, for instance:

“The mountains of snow on the sidewalks are melting; the streets are being washed by rain.”

This book would have been something completely different in French. It would have been a tragic, Shakespearean novel about faith, misfortune, hardship. When you know a language too well you cannot avoid the pitfall of giving too many details. My first experience with writing in English was the chance to be simple, colloquial, and funny. My previous books written in Romanian or French are really missing mockery which, as a reader, I appreciate a lot in a book. As a writer, I think I have always been a little too gloomy, mournful, melancholic. I do not say that English is funnier than the other two languages, or any others for that matter, but it is to me. Wittiness is also a trick to disguise a loose grammar. That’s what any beginner does: when you are not sure about what you’re saying or how to say it in a new language, you laugh a lot hoping that the native-speakers will believe you’re making a joke. My English is a language made out of lines I pick up here and there, in the movies, talk shows, or TV-news bulletins. It is an oral dialect more than an erudite one, even if I read a lot in English.

My sparseness, as you said, leads the plot; it makes it. In French, I feel as though I’m travelling in a cart pulled by a pair of oxen. I can look around, draw from a cigarette while chatting with passers-by. In English, au contraire, as I drive a fast car without knowing exactly how the brakes work I have to shout at people to get out of my way. In French, I can be very detailed and a little bit of a snob because my vocabulary has more than 3,000 words. In English I remain laconic. In French I am larmoyante; in English sharp like a razor. Some readers could believe I remain on the surface of things but I like to believe that most of them would be able to see deeper, as nothing should be taken at the first degree.

Going to Costco, the example you cite, is not only about shopping, it is more of a mockery about extended consumerism and the way any newcomer associates it with the American dream of wealth and prosperity. When immigrants can afford to fill their cart with those huge boxes, they feel like they have a hold on this country. For most of them, unfortunately, buying more than they need or can afford at Costco is the only hold they ever have on Canada.

A little later, we return to the theme of the couple again:

Certainly tolerance and indifference seem to be key here, both in the life of the couple and in our experience as readers. At times I found myself ambivalent about what was going on, at others I had tears in my eyes. Are these quiet, understated emotions of tolerance and indifference something more powerful in your eyes as a writer? Are they something you set out to explore in this novel? Perhaps we could consider the narrator appearing indifferent to others as some sort of achievement, a sign of strength, when we consider the other emotional responses she could have had.

Well, tolerance comes with old age, and this is true for anybody, not only for writers. At twenty you are sure you can change the world, in your late forties you are happy if the world doesn’t hurt you too much. Nolens volens, you become tolerant as your teeth get blunter, so you cannot bite as before. Yet indifference seems to me a very bad emotion to experience for any individual and the worst for a writer. Maybe the woman in the story could seem indifferent towards colleagues or friends, as she never laments, she never shows how desperate she is, never talks for example about how much she is missing her husband the way he was: funny, sexy, manly. I intentionally made her look a little cold, but her silence to me means acceptance and dignity, not indifference. And then, toward the end of the novel, everything changes. The tone doesn’t change, I think, but revelations shift our sympathies. What we learn doesn’t quite lead us to reconsider everything, but… The end of the story should reveal she is generous and forgiving. Why? What if one day something nice might again happen to her, to their couple? Illness is not the end. It could be the beginning of something else. Sometimes, taking care of a loved-one gives people the chance to test their inner selves.

 

I’d be interested to hear if you would still or have ever described yourself as a Quebec writer. And if you think there are major differences between fiction being published in Quebec at the moment compared to elsewhere.

 

First of all, I would like to know if Quebec considers me as a Quebec writer. I wonder if they do not consider migrant literature somehow a less valuable literature. Yet, as Mavis Gallant put it, I do what I have to do without questioning myself about my place in any official literature. It would be difficult anyway, mostly after switching to English. I now find myself in the unusual position of belonging nowhere. The French-Canadian mainstream blames me for letting down la Francophonie; English Canada considers me too French. Not to mention the attitude back in my country where no publisher would translate my books. As you can see, I am in the very comfortable position of being quite alone. This gives me the freedom to be myself and do things as I please. My big chances in this country were my publishers, people like André Vanasse and Linda Leith. As long as I can publish my books, it doesn’t matter what people consider me. The books are there, and that is what really matters. As for differences between literature here or elsewhere, there are only good or bad books. And Quebec has now so many good writers, in both languages. This evidence helps you forget that everything started nearly forty or fifty years ago.

 

What are some of your favourite books from Quebec?

 

There are so many writers, so many books that influenced me that I am afraid to start listing them. I am sure I will leave out many of them, but let’s try. I am fond of those unfinished books like Bouvard et Pécuchet (Flaubert) Dead Souls (Gogol), The Man Without Qualities (Robert Musil). They are the closest to what I consider to be perfect books. Luckily for us, the authors died before completing them, otherwise many of us should be ashamed of calling ourselves writers. We can still hope to do something worthwhile one day. What I like is when a book deals with more than a simple, soap- opera-like story, books made up of layers of magic, history, wisdom, mythology. In this field I would name everything written by Ismail Kadare, Ohran Pamuk, Garcia Marquez, Mo Yan, Yasunari Kawabata, Yukio Mishima, Dino Buzzati (The Tartar Steppe) Italo Calvino (mostly for his astonishing If on a Winter’s Night a Traveler) Milorad Pavic (for his wonderful Dictionary of the Khazars) Vladimir Nabokov (for his early short stories, written in Berlin) Borges, Danilo Kis, Herman Hesse, Ilf and Petrov (for their most comical books ever, The Little Golden Calf and The Twelve Chairs). I like Chekov, Maupassant, and Alice Munro for short stories. I like Cesare Pavese and Nina Berberova for their short novels. I adore Oriana Fallaci for the way she knew to embed fiction with journalism. I told you the list is long, I could go on and on. From time to time, I go back to these authors and they become better and better with every new reading.

 

As for Quebec literature, I am really amazed at the progress made over not more than half a century.

 

To name only a few that come to my mind, I could start with the classics like Anne Hébert, Réjean Ducharme, Marie-Claire Blais, Gabrielle Roy, Hugh MacLennan, Mavis Gallant, Mordecai Richler up to nowadays: Lise Tremblay, Gaétan Soucy, Andrée Laberge, Jocelyne Saucier, Dany Laferrière, Nelly Arcand, Michael Delisle, Max Férandon, Marie-Renée Lavoie1, David Clerson, Nicolas Dickner, Dominique Fortier2, Rawi Hage, Dimitri Nasrallah, Alain Farah and many, many others. This summer, I discovered Gordon Sheppard’s book HA!, which puzzled me. I mean, I liked it so much that I am planning to write something called OH!, a story as twisted as the one he tells about Hubert Aquin. I should thank Dimitri Nasrallah for mentioning Sheppard in an interview3; that’s how I discovered him. As a writer I was happy to be so disturbed by a book. To me it was a sign that I am still in business.

 

Felicia Mihali, fiction, Linda Leith Publishing, published, written in English

 

Quebec Reads
November 9, 2014
Peter McCambridge
Québec Reads: Interview with Felicia Mihali

Felicia Mihali renoue avec la Roumanie

Dina attire les regards de Dragan, un douanier serbe particulièrement zélé qui traque tous les trafiquants. Une étrange relation s’installe entre eux, un amour fait de haine et de passion, de résistance et d’agressions. Elle devient le symbole de la Roumanie qui subit toutes les humiliations devant l’envahisseur. Un univers de violence, de rage et de haine qui se traduit dans un affrontement quotidien qui ne connaît de trêves que dans la fusion des corps.

La Roumanie a vécu le communisme à la Ceausescu, un régime totalitaire particulièrement archaïque et sauvage. La fin de cette dictature a laissé le pays en ruine. Les gens vivent au jour le jour, deviennent trafiquants pour survivre, bradent tout pour quelques sous. Les campagnes sont désertées, les terres abandonnées et le marché noir est la seule activité possible. L’anarchie règne en maître. Le pire peut-être, ce sont les affrontements quotidiens entre Serbes et Roumains, cette haine raciale que rien ne semble vouloir éradiquer.

Avec « Dina » nous effleurons le meilleur de Felicia Mihali qui se montre une écrivaine fascinante. Nous retrouvons la magie du « Pays du fromage », son premier roman, la même force d’évocation, un drame et un suspense qui emportent chacune des pages. Des portraits saisissants de femmes qui vivent les pires outrages depuis des siècles, trouvent des trésors d’imagination pour survivre. Elles sont déboussolées dans cette société qui a oublié ses références.

« Une fois libérées de la tutelle de leur mari ou de leur belle-mère, les vieilles femmes se consacrent finalement à une vie d’oisiveté ou d’ivrognerie. Les voisines que je connaissais, surchargées de tâches, sont devenues maintenant des clientes fidèles de la taverne du village. On ne les voit plus porter de lourds fardeaux sur leur dos, on ne les entend pas puiser de l’eau, courir après une poule ou crier après un mouton. Elles ne veulent plus peiner, même au risque de ne pas se nourrir. Le cycle de leur vie a ralenti, leurs membres sont fatigués, leur énergie nourricière s’est tarie, leur instinct maternel est entré en hibernation ou s’est reconverti en égoïsme et en indifférence. » (P.34)

Un récit

« Dina » pourrait être un récit tellement la voix de la narratrice se rapproche de l’écrivaine. Sans être un familier de Mihali, on peut reconnaître des éléments de sa trajectoire, son installation à Montréal, son refus de retourner au pays malgré la nostalgie qui rejoint ceux et celles qui décident de quitter parents et amis pour s’inventer un rêve.
La Montréalaise par choix garde contact avec son pays d’origine, téléphone à ses parents de temps en temps. Elle n’arrive plus à parler avec un père qui n’est que l’ombre de lui-même. Sa mère, après une vie de sacrifices et de dévouement, bascule dans l’alcool pour fuir la réalité devenue impossible.
Lors d’une conversation, la narratrice apprend la mort de sa cousine Dina. Elles avaient le même âge, partagé leur adolescence et de grands bouts de leur vie de jeunes femmes. Elle a été assassinée, semble-t-il. Une mort qui fait ressurgir une partie de l’enfance de la narratrice.

Figure emblématique

L’écrivaine insiste peut-être un peu trop pour montrer que Dina est la figure emblématique des Roumains qui courbent le dos devant l’oppresseur. C’est la seule fausse note de ce roman magnifique. Un portrait de la Roumanie particulièrement troublant qui ne sait plus à quoi s’accrocher pour survivre et qui affronte le mépris, la violence des vainqueurs. Dina ne peut triompher dans un combat inégal. Il reste la fuite, l’exil pour se refaire une vie. C’est ce que la narratrice a choisi, Felicia Mihali aussi.

« Dina a alors fait ce que les petites nations font devant la pression des plus grandes : elle a cédé. Elle est montée dans l’auto, convaincue que ce n’était pas la fin mais pas le début non plus. Dans son âme logeaient depuis longtemps l’humiliation, la rage de ne pas pouvoir se défendre, de dépendre toujours de la bonne volonté et des intérêts des autres. Dragan allait lui-même décider de son sort. Pour s’y opposer ? Elle n’aurait pas pu le faire encore longtemps de toute façon. Pourquoi fuir, lorsque la volonté des plus forts vous suit partout ? » (P.125)

Le Quotidien – Yvon Paré – Jeudi 13 novembre 2008

Quatrième roman de Félicia Mihali, Sweet, sweet China nous convie à un fabuleux voyage dans une Chine «hétéroclite, pays de contradictions et d’extrêmes». C’est à travers la voix de la Déesse Sakiné, Déesse du regard, que l’histoire d’Augusta et celle de Mei Hua (Fleur de prune) nous seront racontées. Désirée, Déesse du goût, et Flora, Déesse de l’odorat, les accompagneront durant leur extraordinaire périple. Augusta, professeure de français, séjourne pendant dix mois à Beijing pour enseigner cette langue aux Chinois qui veulent émigrer au Canada. Mei est une jeune fille de la Chine impériale, mariée de force à un général qu’elle déteste. À partir de ces situations, ancienne et moderne, la Déesse Sakiné relatera les aventures des deux jeunes femmes. Augusta tient un journal dans lequel elle note les impressions de son quotidien, la vie de son quartier, le désarroi qu’elle ressent au fur et à mesure que le temps passe. Et les jours sont longs face à des étudiants déconcertants, à «Beijing ensoleillé, venteux et poussiéreux.» À son insu, les trois déesses ont pris Augusta sous leur protection. Elles se faufilent dans les objets de son appartement, se transforment même en stylo à billes ! La Déesse Flora s’infiltrera dans l’écran de son ordinateur pour supprimer quelques remarques de son journal qu’elle juge dérangeantes ou inutiles. Au grand dam de la Déesse Sakiné, la Déesse Désirée ira jusqu’à faire apparaître l’ancien amant chinois d’Augusta avec qui elle a rompu dix ans plus tôt. Le pouvoir des trois déesses est si fantastique et séculaire qu’elles protégeront Mei contre son mari, le général Wu. Avant que surgisse Mei dans un rêve d’Augusta, plus tard, dans une télé-série qu’elle regarde chaque soir chez elle, on est déjà informé que la «petite épouse» se réfugie à volonté dans un lac situé dans le paysage d’une estampe !

Le présent symbolisé par Augusta nous convie à des promenades dans la ville – marché, boutiques, antiquaires -; le passé évoqué par Mei nous projette dans un temps révolu où les femmes «valaient moins que des rats.» D’une écriture sobre, poétique, saupoudrée d’humour et de féminisme, Félicia Mihali se questionne, elle aussi, quand des êtres de passage ou des faits singuliers la confondent. L’auteure en profite pour nous entraîner dans des lieux touristiques, comme la Cité interdite, la Grande Muraille, le Palais d’été, le site des soldats en terre cuite à Xi’An. Et bien d’autres lieux prodigieux encore. Chaque fois que Mihali se fait guide, elle dépeint avec minutie des pages d’histoire passionnantes qui nous renseignent sur la civilisation plus que millénaire de L’Empire du Milieu. Avant le Nouvel An chinois, Augusta partira quatre jours à Hong-Kong. À bord de l’avion, elle fera un rêve étrange dans lequel se manifestera Mei Hua. La Déesse Sakiné avouera qu’elle et la Déesse Désirée l’avaient «abandonnée au creux du temps, au milieu de l’empire.» Les péripéties de Mei occuperont alors une merveilleuse place dans le roman. Pour échapper à son époux qui la pourchasse, elle accepte de faire n’importe quoi. Chez Dame Miao et Dame Vase, elle sera brodeuse ; chez Dame Poisson, propriétaire d’une maison close, au restaurant Le Cheval blanc où règne Dame Carotte, elle devient servante, puis copiste chez «un auteur pauvre qui vivait d’une petite subvention.» À nouveau servante chez un peintre célèbre, Mei sera retrouvée par le général Wu. Bien sûr, on ne dévoilera pas la fin de son histoire houleuse, émaillée de pages sensuelles, érotiques.

Le récit de Mei Hua se recoupe constamment avec celui d’Augusta au point que le général Wu, «en proie au désespoir, se demande où errait cette étrangère ? […] Dans quel rêve s’était-elle glissée pour apporter le malheur ?» Le voyage de Mei s’achève sur des pages où le rôle des femmes orientales et occidentales prend toute son ampleur. Sur une toile, le peintre célèbre chez qui Mei s’est enfuie, «avait rassemblé autour d’un étang toutes les déesses de la création». Dans une envolée lyrique, Mihali énumère les femmes qui furent à l’origine de la création «[…] lorsque la Mère-terre vivait loin du Père-ciel.» De la Déesse-mère jusqu’à la Déesse de la connaissance. Un symbole occurrent est la présence de la grand-mère du général Wu qui, constamment, défend Mei Hua contre ceux et celles qui lui veulent du mal, alors qu’elle fut l’instigatrice de son mariage avec son arrière-petit-fils.

Peu à peu, on entre à nouveau dans le présent d’Augusta ; doucement, elle prépare son retour au Québec. Si elle «est guérie de la nostalgie de la Chine», le fait de quitter les êtres avec qui elle a tissé des liens la déchire. Dans le métro de Montréal la ramenant chez elle, un tour de magie s’opère où les trois déesses interviennent une dernière fois…

C’est un roman imprégné d’odeurs sulfureuses, pétri de sensations physiques et morales que nous offre Félicia Mihali. On aime que «la Chine profonde reste inconnue et lointaine.» C’est avec un réel bonheur de lecture que nous suivons Mei Hua dans son «voyage en papier» ; durant son parcours, nous apprenons que cette époque impériale fut à la fois prestigieuse et cruelle. Nous apprenons aussi que toute réalité, vue et vécue par Augusta, contient sa part de rêve pour affronter un pays aux mille facettes insondables. On ferme ce roman, émerveillés, en se promettant d’y revenir le plus tôt possible…

Publié par : Dominique Blondeau A lire