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Dans son roman Une nuit d’amour à Iqaluit, l’auteure montréalaise Felicia Mihali raconte le récit de ses personnages au cours d’une année scolaire vécue dans la capitale nunavoise. 

LE NUNAVOIX (Nunavut) – Dans son roman Une nuit d’amour à Iqaluit, l’auteure montréalaise Felicia Mihali raconte le récit de ses personnages au cours d’une année scolaire vécue dans la capitale nunavoise. 

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 KARINE LAVOIE – FRANCOPRESSE 

Felicia Mihali, Confession pour un ordinateur, Montréal, XYZ éditeur, 2009 

« On ne naît pas femme, on le devient ». Cette phrase de Simone de Beauvoir pourrait servir d’exergue et de conclusion au dernier roman signé par Felicia Mihali, Roumaine qui vit au Québec depuis dix ans, où elle a déjà publié cinq autres volumes, tous chez le prestigieux XYZ éditeur : Le Pays du fromage (2002), Luc, le Chinois et moi (2004), La reine et le soldat (2005), Sweet, sweet China (2007), Dina (2008). Autant de titres qui la recommandent comme une des plus lancées des jeunes « migrantes » apportant à la littérature de la « belle province » la nouveauté de son espace d’origine. 

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 Elena-Brandusa STEICIUC 

www.rhone.roumanie.free.fr 

12-01-2010 

 On dit que l’exil est l’essence même de la modernité. Qu’il soit volontaire ou déterminé par les persécutions politiques ou religieuses, il engendre dans l’esprit des exilés le même tremblement intérieur, les mêmes questionnements, et les mêmes contradictions. Les affres du dépaysement, les rapports avec une nouvelle langue, le choc culturel, les difficultés de l’intégration sont vécus avec la même intensité dans tous les coins du monde, là où les gens essaient de refaire leur vie sur de nouvelles bases, meilleures que celles qu’ils ont abandonnées dans leur pays d’origine. 

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Conférence à l’université d’Udine, Italie 

Novembre 2021 

Felicia Mihali renoue avec la Roumanie

Dina attire les regards de Dragan, un douanier serbe particulièrement zélé qui traque tous les trafiquants. Une étrange relation s’installe entre eux, un amour fait de haine et de passion, de résistance et d’agressions. Elle devient le symbole de la Roumanie qui subit toutes les humiliations devant l’envahisseur. Un univers de violence, de rage et de haine qui se traduit dans un affrontement quotidien qui ne connaît de trêves que dans la fusion des corps.

La Roumanie a vécu le communisme à la Ceausescu, un régime totalitaire particulièrement archaïque et sauvage. La fin de cette dictature a laissé le pays en ruine. Les gens vivent au jour le jour, deviennent trafiquants pour survivre, bradent tout pour quelques sous. Les campagnes sont désertées, les terres abandonnées et le marché noir est la seule activité possible. L’anarchie règne en maître. Le pire peut-être, ce sont les affrontements quotidiens entre Serbes et Roumains, cette haine raciale que rien ne semble vouloir éradiquer.

Avec « Dina » nous effleurons le meilleur de Felicia Mihali qui se montre une écrivaine fascinante. Nous retrouvons la magie du « Pays du fromage », son premier roman, la même force d’évocation, un drame et un suspense qui emportent chacune des pages. Des portraits saisissants de femmes qui vivent les pires outrages depuis des siècles, trouvent des trésors d’imagination pour survivre. Elles sont déboussolées dans cette société qui a oublié ses références.

« Une fois libérées de la tutelle de leur mari ou de leur belle-mère, les vieilles femmes se consacrent finalement à une vie d’oisiveté ou d’ivrognerie. Les voisines que je connaissais, surchargées de tâches, sont devenues maintenant des clientes fidèles de la taverne du village. On ne les voit plus porter de lourds fardeaux sur leur dos, on ne les entend pas puiser de l’eau, courir après une poule ou crier après un mouton. Elles ne veulent plus peiner, même au risque de ne pas se nourrir. Le cycle de leur vie a ralenti, leurs membres sont fatigués, leur énergie nourricière s’est tarie, leur instinct maternel est entré en hibernation ou s’est reconverti en égoïsme et en indifférence. » (P.34)

Un récit

« Dina » pourrait être un récit tellement la voix de la narratrice se rapproche de l’écrivaine. Sans être un familier de Mihali, on peut reconnaître des éléments de sa trajectoire, son installation à Montréal, son refus de retourner au pays malgré la nostalgie qui rejoint ceux et celles qui décident de quitter parents et amis pour s’inventer un rêve.
La Montréalaise par choix garde contact avec son pays d’origine, téléphone à ses parents de temps en temps. Elle n’arrive plus à parler avec un père qui n’est que l’ombre de lui-même. Sa mère, après une vie de sacrifices et de dévouement, bascule dans l’alcool pour fuir la réalité devenue impossible.
Lors d’une conversation, la narratrice apprend la mort de sa cousine Dina. Elles avaient le même âge, partagé leur adolescence et de grands bouts de leur vie de jeunes femmes. Elle a été assassinée, semble-t-il. Une mort qui fait ressurgir une partie de l’enfance de la narratrice.

Figure emblématique

L’écrivaine insiste peut-être un peu trop pour montrer que Dina est la figure emblématique des Roumains qui courbent le dos devant l’oppresseur. C’est la seule fausse note de ce roman magnifique. Un portrait de la Roumanie particulièrement troublant qui ne sait plus à quoi s’accrocher pour survivre et qui affronte le mépris, la violence des vainqueurs. Dina ne peut triompher dans un combat inégal. Il reste la fuite, l’exil pour se refaire une vie. C’est ce que la narratrice a choisi, Felicia Mihali aussi.

« Dina a alors fait ce que les petites nations font devant la pression des plus grandes : elle a cédé. Elle est montée dans l’auto, convaincue que ce n’était pas la fin mais pas le début non plus. Dans son âme logeaient depuis longtemps l’humiliation, la rage de ne pas pouvoir se défendre, de dépendre toujours de la bonne volonté et des intérêts des autres. Dragan allait lui-même décider de son sort. Pour s’y opposer ? Elle n’aurait pas pu le faire encore longtemps de toute façon. Pourquoi fuir, lorsque la volonté des plus forts vous suit partout ? » (P.125)

Le Quotidien – Yvon Paré – Jeudi 13 novembre 2008

Quatrième roman de Félicia Mihali, Sweet, sweet China nous convie à un fabuleux voyage dans une Chine «hétéroclite, pays de contradictions et d’extrêmes». C’est à travers la voix de la Déesse Sakiné, Déesse du regard, que l’histoire d’Augusta et celle de Mei Hua (Fleur de prune) nous seront racontées. Désirée, Déesse du goût, et Flora, Déesse de l’odorat, les accompagneront durant leur extraordinaire périple. Augusta, professeure de français, séjourne pendant dix mois à Beijing pour enseigner cette langue aux Chinois qui veulent émigrer au Canada. Mei est une jeune fille de la Chine impériale, mariée de force à un général qu’elle déteste. À partir de ces situations, ancienne et moderne, la Déesse Sakiné relatera les aventures des deux jeunes femmes. Augusta tient un journal dans lequel elle note les impressions de son quotidien, la vie de son quartier, le désarroi qu’elle ressent au fur et à mesure que le temps passe. Et les jours sont longs face à des étudiants déconcertants, à «Beijing ensoleillé, venteux et poussiéreux.» À son insu, les trois déesses ont pris Augusta sous leur protection. Elles se faufilent dans les objets de son appartement, se transforment même en stylo à billes ! La Déesse Flora s’infiltrera dans l’écran de son ordinateur pour supprimer quelques remarques de son journal qu’elle juge dérangeantes ou inutiles. Au grand dam de la Déesse Sakiné, la Déesse Désirée ira jusqu’à faire apparaître l’ancien amant chinois d’Augusta avec qui elle a rompu dix ans plus tôt. Le pouvoir des trois déesses est si fantastique et séculaire qu’elles protégeront Mei contre son mari, le général Wu. Avant que surgisse Mei dans un rêve d’Augusta, plus tard, dans une télé-série qu’elle regarde chaque soir chez elle, on est déjà informé que la «petite épouse» se réfugie à volonté dans un lac situé dans le paysage d’une estampe !

Le présent symbolisé par Augusta nous convie à des promenades dans la ville – marché, boutiques, antiquaires -; le passé évoqué par Mei nous projette dans un temps révolu où les femmes «valaient moins que des rats.» D’une écriture sobre, poétique, saupoudrée d’humour et de féminisme, Félicia Mihali se questionne, elle aussi, quand des êtres de passage ou des faits singuliers la confondent. L’auteure en profite pour nous entraîner dans des lieux touristiques, comme la Cité interdite, la Grande Muraille, le Palais d’été, le site des soldats en terre cuite à Xi’An. Et bien d’autres lieux prodigieux encore. Chaque fois que Mihali se fait guide, elle dépeint avec minutie des pages d’histoire passionnantes qui nous renseignent sur la civilisation plus que millénaire de L’Empire du Milieu. Avant le Nouvel An chinois, Augusta partira quatre jours à Hong-Kong. À bord de l’avion, elle fera un rêve étrange dans lequel se manifestera Mei Hua. La Déesse Sakiné avouera qu’elle et la Déesse Désirée l’avaient «abandonnée au creux du temps, au milieu de l’empire.» Les péripéties de Mei occuperont alors une merveilleuse place dans le roman. Pour échapper à son époux qui la pourchasse, elle accepte de faire n’importe quoi. Chez Dame Miao et Dame Vase, elle sera brodeuse ; chez Dame Poisson, propriétaire d’une maison close, au restaurant Le Cheval blanc où règne Dame Carotte, elle devient servante, puis copiste chez «un auteur pauvre qui vivait d’une petite subvention.» À nouveau servante chez un peintre célèbre, Mei sera retrouvée par le général Wu. Bien sûr, on ne dévoilera pas la fin de son histoire houleuse, émaillée de pages sensuelles, érotiques.

Le récit de Mei Hua se recoupe constamment avec celui d’Augusta au point que le général Wu, «en proie au désespoir, se demande où errait cette étrangère ? […] Dans quel rêve s’était-elle glissée pour apporter le malheur ?» Le voyage de Mei s’achève sur des pages où le rôle des femmes orientales et occidentales prend toute son ampleur. Sur une toile, le peintre célèbre chez qui Mei s’est enfuie, «avait rassemblé autour d’un étang toutes les déesses de la création». Dans une envolée lyrique, Mihali énumère les femmes qui furent à l’origine de la création «[…] lorsque la Mère-terre vivait loin du Père-ciel.» De la Déesse-mère jusqu’à la Déesse de la connaissance. Un symbole occurrent est la présence de la grand-mère du général Wu qui, constamment, défend Mei Hua contre ceux et celles qui lui veulent du mal, alors qu’elle fut l’instigatrice de son mariage avec son arrière-petit-fils.

Peu à peu, on entre à nouveau dans le présent d’Augusta ; doucement, elle prépare son retour au Québec. Si elle «est guérie de la nostalgie de la Chine», le fait de quitter les êtres avec qui elle a tissé des liens la déchire. Dans le métro de Montréal la ramenant chez elle, un tour de magie s’opère où les trois déesses interviennent une dernière fois…

C’est un roman imprégné d’odeurs sulfureuses, pétri de sensations physiques et morales que nous offre Félicia Mihali. On aime que «la Chine profonde reste inconnue et lointaine.» C’est avec un réel bonheur de lecture que nous suivons Mei Hua dans son «voyage en papier» ; durant son parcours, nous apprenons que cette époque impériale fut à la fois prestigieuse et cruelle. Nous apprenons aussi que toute réalité, vue et vécue par Augusta, contient sa part de rêve pour affronter un pays aux mille facettes insondables. On ferme ce roman, émerveillés, en se promettant d’y revenir le plus tôt possible…

Publié par : Dominique Blondeau A lire

Felicia Mihali – Sweet, sweet China

Succès économique, jouets toxiques, muselière préolympique. Au-delà des clichés transmis par l’actualité, Felicia Mihali livre une image complexe de la culture chinoise dans son quatrième roman, Sweet, sweet China. Abordant la question à travers le regard d’une enseignante de français qui prépare les Chinois à leur immigration au Canada, cette oeuvre baroque se tient à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. L’auteure, Québécoise d’origine roumaine, y puise tour à tour dans la mythologie, l’histoire impériale et les carnets intimes qu’elle a rédigés au cours d’un récent séjour au pays de Mao. Sous la protection de trois déesses, dont l’une est la narratrice du récit, la protagoniste observe son intégration difficile parmi ces Chinois énigmatiques dont certains, ses étudiants, ne songent qu’à leur prochain départ, se montrant plus ou moins intéressés par ce qui les attend en terre québécoise. Un livre original, mariant dialogue impossible et refuge dans un imaginaire hautement onirique.

Voir le 21 février 2008 Éric Paquin À lire

 

Espace Canoë

Ce « docu-roman », est un mariage très réussi entre la fiction et la réalité. Ce livre est immanquablement, la plus belle surprise en littérature depuis déjà quelques mois. Je n’avais plus éprouvé un tel plaisir à lire et à me surprendre moi-même de me passionner pour l’histoire racontée.
L’écriture réaliste, sans complaisance, au verbe bien choisi, ainsi qu’aux phrases parfaitement calibrées qui ajoutent à ce « docu-roman » un souffle de vérité comme il en existe si peu.
Felicia Mihali, est une auteure que l’on peut dès à présent qualifier de majeure au Canada.
Son roman, très bien ficelé et magnifiquement illustré, témoigne de son vécu, mais aussi de son talent d’auteur à transporter le lecteur dans une partie romancée.
L’événement littéraire de la rentrée 2008.

Espace Canoë À lire

 

Les tribulations d’une professeure en Chine

A quelques mois des jeux olympiques de Beijing, l’intérêt pour la Chine s’accroît. Si vous voulez parfaire votre connaissance de la Chine vue de l’intérieur, lisez donc ce petit bijou de roman Sweet, Sweet China où l’auteure Felicia Mihali raconte les aventures d’Augusta, une enseignante partie enseigner le français aux immigrants chinois qui souhaitent vivre au Canada. Il y a beaucoup de Mme Mihali à travers la protagoniste. La romancière a une belle qualité narrative et ses descriptions ne nous font pas regretter l’appareil photo. D’ailleurs il y a quelques photos du pays prises par Mme Mihali. C’est véritablement un autre monde.

Culture Hebdo À lire

Roman foisonnant, délibérément anachronique, La Reine et le Soldat, de Felicia Mihali, nous plonge en plein coeur des conquêtes d’Alexandre le Grand, en 330 avant Jésus-Christ. La reine des Perses, Sisyggambris (nom réel: Sisygambis), assiste impuissante à l’écroulement de son royaume. Captive dans la ville de Suse (sur le territoire actuel de l’Iran), elle est placée sous la garde d’un jeune soldat grec, trois fois plus jeune qu’elle.
Avec une écriture vigoureuse, l’auteure trace le portrait d’une femme indépendante et libre, amante passionnée, femme d’esprit, et tisse en filigrane dans son récit des réflexions sur l’exil, le métissage, l’art de la guerre et la démocratie.

Alphabet érotique

L’empire en déclin des Perses n’a pas résisté à l’assaut des armées du redoutable conquérant. Installé à Suse, Alexandre le Grand se montre magnanime envers Sisyggambris, après la mort de Darius, le roi des Perses, tué au combat. Une étrange amitié se noue entre la reine et le Macédonien. Elle apprend à connaître cet homme dont les actes prouvent sa nature humaine passionnée, il découvre le raffinement perse — mobilier précieux, appartements parfumés, bain raffiné, banquets somptueux. La reine le nomme Iskenderun après en avoir fait son fils adoptif. Alexandre le Grand poursuivra sa politique d’alliance avec la noblesse perse — les soldats macédoniens prennent concubines en pays conquis –, voyant dans ce rituel d’union des peuples «le bonheur du monde en termes de mélange, d’hybridité et de métissage».
Après la conquête du royaume persan, désireux d’étendre son empire de la Grèce à l’Indus, Alexandre reprend la route. Il confie la reine à Polystratus, jeune soldat d’à peine vingt ans, à qui elle enseignera l’ouverture à l’autre. À ses yeux, tous les Grecs sont des barbares.
Au fil des mois, Sisyggambris attend des nouvelles d’Alexandre qui ne viennent pas. L’arrivée d’une troupe de comédiens chinois vient la distraire. Le plus vieil acteur a été l’un de ses amants. À partir de cette rencontre, le récit se teinte d’une frénésie érotique. «La reine savait depuis longtemps que les jeux érotiques font partie du métier de gouverner les autres.»
Après le départ de la troupe, la reine intrigue, cherche des issues à son ennui, jusqu’au jour où elle convainc le soldat de partir en Grèce à la recherche d’Iskenderun. En cours de route, ils deviennent amants. Ils se perdent pour mieux se retrouver, leurs désirs se fondent «dans le crépitement du monde». Le plaisir fermente jusque dans les mots.

Exil et nostalgie

Après un périple difficile, ils arrivent à Athènes. Pour Sisyggambris, l’exil se vit d’abord au plus près de la peau. La reine et le soldat déclinent ensemble «les lettres du même alphabet érotique». Pour combien de temps encore ? Son amour pour le soldat d’Alexandre avait été lié à sa position de conquérant. À Athènes, ses yeux «trahissent le sommeil profond de l’esprit».
La reine se penche sur son passé, n’arrive plus à y mettre de l’ordre. Elle souffre chaque jour de sa condition d’étrangère. «Elle allait toujours parler le grec avec un accent perse […] Au fond, les gens ne peuvent jamais fuir ce qu’ils sont en profondeur.» Une rencontre avec un marchand de parfums syrien qu’elle a connu à Suse ravive la nostalgie de leur Perse natale : «Il comprenait avec tristesse que le soleil ne pourrait jamais être si familier que dans le pays où l’on naît, et qu’une certaine fraîcheur de la matinée resterait toujours identique à celle de l’enfance.»
Sisyggambris s’adapte lentement à sa nouvelle vie. Ce voyage a été pour elle un chemin obscur vers les profondeurs de son âme. Qui sait si le soleil du Péloponnèse aura le pouvoir de l’illuminer, de le rendre plus chaleureux ?

Roman dense, exigeant

À la fin du roman, dans une note à l’intention du lecteur, Felicia Mihali précise qu’elle a pris beaucoup de libertés par rapport aux faits historiques. Elle recompose l’Histoire par fragments en s’écartant de l’original, établit des liens troublants entre les idéaux éthiques d’Alexandre le Grand, la démocratie qu’il défendait, «pas égalitaire mais militaire et agressive», et les motivations des Américains qui occupent aujourd’hui Bagdad. «Les populations du milieu du continent ne l’accueillaient pas comme un libérateur, mais plutôt comme un oppresseur antipathique. L’idéal démocratique, qu’il brandissait comme un drapeau et dont il se considérait comme le champion, n’était pas la préoccupation des peuples du Caucase, de Sogdiane ou de Kaboul. Ces peuples de l’Indus s’accommodaient fort bien de la paix imposée par les suzerains locaux, avec qui ils parlaient la même langue et partageaient les mêmes coutumes […] Ceux qui s’avancent trop sur le territoire des autres ne sont en aucun cas des libérateurs.»
Née en Roumanie, écrivaine, journaliste, rédactrice en chef du magazine culturel en ligne Terra Nova, Felicia Mihali signe un troisième roman dense, exigeant, pétillant d’intelligence. Douée d’une imagination inépuisable, la romancière parvient à ressusciter le passé lointain d’une civilisation qui a dominé le Proche-Orient il y a plus de 2500 ans, à en restituer les couleurs, les odeurs, les sensations tactiles et à nous transmettre la beauté d’une histoire d’amour impossible qui ne peut se trouver consignée que dans une oeuvre de fiction.

Suzanne Giguère – Le Devoir, Édition du samedi 21 et du dimanche 22 janvier 2006

Parfois, seuls la solitude et le silence peuvent venir à bout des pires épreuves. C’et du moins ce que croit la narratrice du Pays du fromage, l’excellent premier opus de Felicia Mihali, une jeune écrivain d’origine roumaine qui a choisi de réécrire en français son histoire marquée pas les figures du naufrage et du désespoir.

A l’apogée d’un printemps littéraire abondamment truffé de découvertes, voilà que d’immisce discrètement sur les rayonnes des libraires un court roman au titre intriguant mais qui n’a rien à voir avec les délices de la table de provenance de la Beauce ou de Charlevoix.

En quatrième de couverture, l’éditeur, XYZ, compare même Le Pays du fromage à Une saison dans la vie d’Emmanuel, le grand classique de Marie-Claire Blais. Une telle comparaison audacieuse à souhait, n’est cependant injustifiée, car les deux récits, bien que différents en plusieurs points, partagent ( ce n’est qu’une question de patience) un enviable statut dans le panorama littéraire québécois. Ce sont des lectures qui nous habitent et nous transpercent pour venir heurter nos plus intimes remparts. Le ton est dur, économe sans être pingre, et les images, souvent cinglantes. Bref, on ne sort pas intact du Pays du fromage.

 

(Antoine Tanguay, LE SOLEIL, Quebec, 26 Mai 2002)

On a envie de remercier Felicia Mihali d’avoir eu l’idée de s’installer ici il y a deux ans après avoir quitté sa Roumanie natale: elle nous offre, comme cadeau inespéré, ce premier roman qui révèle déjà un talent d’écrivain.

La ressemblance suggérée, sur la quatrième de couverture, entre ce livre et le chef d’œuvre de Marie-Claire Blais, Une saison dans la vie d’Emmanuel, n’est pas qu’un simple fanfaronnade d’éditeur comme on en lit souvent. Il y a dans Le pays du fromage une puissance d’évocation assez semblable, une même faculté d’insuffler une sombre beauté à un monde de déchéance.

Le lieu même où se passe l’essentiel du roman de Mihali n’est pas sans rappeler celui de Blais : un hameau perdu quelque part dans une lointaine campagne, un de ces coins de misère comme il y en a dans la plupart des pays du monde, là où la vie semble arrêtée depuis des siècles. C’est dans cette Roumanie profonde, où on pourra reconnaître tout à la fois un arrière-pays universel, que la narratrice du roman de Mihali a grandi et qu’elle décide de revenir, en emmenant avec elle son jeune fils, après 15 ans passés dans la capitale. Elle quitte du coup son mari, dont elle vient de découvrir qu’il a trompait.

Dépit ou simple coup de tête? Au moment de partir, elle a en tout cas le sentiment que l’aventure l’attend alors qu’elle un jette un dernier coup d’œil sur les étagères de sa bibliothèque, où elle remarque le Robinson Crusoé de Defoe de même que l’étonnante réécriture qu’en faite Michel Tournier dans Vendredi ou les limbes du Pacifique. On devine qu’il s’agit là d’un clin d’œil narquois à la littérature la narratrice a fait des études en lettres sans pouvoir en vivre – elle n’a jamais travaillé que comme secrétaire dans une entreprise d’import-export – s’essayerait-elle à « la » vivre?

Sans nostalgie apparente, elle s’installe dans une des masures abandonnées où elle a grandi. Paradoxalement, el semble régner dans ce logis insalubre, comme dans tout le village, un génie des lieux, insidieux, maléfique, auquel elle s’abandonne à son tour. Au fil des jours et des semaines, pendant les quelques 28 mois qu’elle va passer là-bas, elle vivra dans la crasse et le désordre, parmi la vermine, se nourrissant à peine, dans un état de prostration entrecoupé de brefs sursauts d’énergie. Son fils, laissé à lui-même, devient peu à peu un enfant sauvage, plus à l’aise avec les bêtes qu’en compagnie des humaines.

Ce choix délibéré de la jeune femme d’une existence quasi primitive ne semble pas révéler d’une quelconque volonté d’ascétisme – ses accès de sensualité débridée ont tôt fait de nous détromper là-dessus. Il s’agirait plutôt d’un passage obligé qui lui permettrait de découvrir, à sa propre surprise, ses racines paysannes, comme s’il lui fallait pour cela connaître un dénouement qu’elle n’avait même pas connu dans son enfance, une déchéance qui remonte bien au-delà de son propre passé.

Elle s’adonne donc à une imprégnation totale dans ce lieu, qui la sollicite corps et âme. Tous ses sens sont envahis, en particulier l’odorat qu’elle a très sensible. L’expérience est éprouvante dans ce pays de fromage, comme elle dit, dont les effluves l’ont toujours écœurée. Elle revivra par ailleurs l’antique soumission des femmes en fréquentant un ami d’enfance, un homme « assez vieux pour que son instinct paternel soit atténué par l’égoïsme de vivre librement », dont elle aime l’indifférence, pour qui les femmes sont des simples objets de plaisir toutes interchangeables. Elle lui est reconnaissante de montrer par là « son immense honnêteté masculine »…

Parmi les souvenirs qui lui reviennent, elle s’attarde à celui de quelques proches, moins ses père et mère qu’une tante, qui fut une conteuse hors pair. Elle donnera d’ailleurs à la narratrice le goût de récréer en imagination une partie du passé familial, en particulière celui d’un couple de bisaïeuls.

L’imaginaire prend ainsi le relais du corps et de ses sensations pour lui permettre d’habiter toute entière le lieu de son enfance. Il y a jusqu’à sa perception des autres qu’elle tente de calquer sur celle de ces campagnards frustes, aussi durs que leur coin de pays. Autrefois comme aujourd’hui, assure-t-elle, tout n’est « que peine et accouplement. Homme et femmes : entre eux il n’y a de place ni pour la beauté, ni pour la tendresse, ni pour l’amitié ».

La littérature, dans cette aventure, lui sera longtemps de peu de secours. On croirait même qu’elle l’a reniée. Mais la voici qui lui revient alors qu’un ami bienveillant lui offre une partie de sa bibliothèque. Elle va lire ou relire des auteurs de toutes les pays, de Shakespeare à Samuel Beckett en passant par Diderot ou Novalis, mais ce sera pour ne retenir chez l’un ou l’autre qu¢une phrase ou le trait de caractère d’un personnage.

Ce roman de Felicia Mihali est une des très belles surprises de ce printemps. Elle l’a, dit-on, écrit dans sa langue maternelle, puis traduit elle-même. On peut parler ici d’une version originale, dont l’écriture est plutôt sobre, fort bien maîtrisée. Mihali savait bien que ce que raconte ce personnage de femme est parfois assez terrible : ce n’était pas la peine d¢en ajouter sur la manière de le dire.

Robert Chartrand (LE DEVOIR, Montreal, 5 Mai 2002)

Avec son titre énigmatique, Le pays du fromage de Felicia Mihali souffle comme une bourrasque sur une Roumanie sacrifiée. Pas si loin de nous. Rencontre.

Pour Felicia Mihali, la Roumanie c’est surtout le Pays du fromage, une référence au produit laitier qui, ai gré des siècles, sauva si souvent de la famine des villages entiers, voire un peuple; une nourriture dont l’héroïne de ce premier roman de Felicia Mihali ne peut supporter l’odeur.

Si j’avais accepté dès le début l’odeur du fromage, toute ma vie aurait pu changer », écrit-elle. Un détail. Et puis le lecteur comprend vite que sa rupture entre cette jeune femme peut-être cocue et son présent roumain est totale, effroyable. Et que débute la magistrale culbute…

J’ai écrit ce livre il y a cinq ans, dans un état de pessimisme total et profond, nous dit d’emblée Mihali, à Montréal depuis tout juste deux ans. J’avais à l’esprit la conviction intime que je ne pouvais plus évoluer, ni personnellement ni collectivement, au sein de la société roumaine. Aujourd’hui, le pessimisme est une maladie dont j’essaie encore de guérir. »

Au centre du roman se trouve le désir de cette jeune femme de renouer avec son passé au moment de l’échec de son présent », poursuit Mihali. En fait, le livre trouve son origine dans le mythe de Robinson. L’héroïne est une naufragée, sauf qu’elle échoue sur une île qui porte en elle les marques des la civilisation. Comme elle ne peut consentir à détruire ce qui est là, elle se réfugie dans un imaginaire mythique qui la fera remonter jusqu¢aux anciens Grecs, à l’histoire de Troie.

Les connotations livresques et purement littéraires se font nuances et arrachements au réel dans ce roman d’une beauté saisissante. Et ces odeurs folles et incontrôlables d’envahir dès les premières pages et avec une absolue préséance l’esprit du lecteur pour ne plus le quitter.

L’héroïne plonge en l’histoire de sa famille mais néglige presque ostentatoirement de faire référence aux années Ceausescu, à la chute du communisme ou à quelque autre événement dit « historique », sinon vieux d’un siècle, d’une éternité. Un choix heureux qui souligne une universalité saisissante dans l’écriture. « Dès la fin du communisme, le marché du livre dénonçant la monstruosité du régime d’avant a connu une inflation sans précédent en Roumanie. J’ai trouvé cela pervers en ce que les auteurs de ces livres étaient auparavant de bons communistes. En littérature, il faut oublier les choses vulgaires ou triviales pour sublimer le réel. Je n’avais pas besoin de parler du régime pour décrire les horreurs ».

En quatrième de couverture, les gens de chez XYZ ont cru bon de déceler une ressemblance entre Les pays du fromage et Une saison dans la vie d’Emmanuel, de Blais. Une judicieux amalgame qui renvoie au lecteur d’ici ses propres conceptions du village et du rural… « J’ai voulu frapper un mythe qui a fait carrière dans la littérature roumaine, celui du village vu comme le nombril de la terre, l’espace de pureté, l’endroit qui nous sauve de la ville. Nous sauver de quoi? Et à quel prix? Pas si loin de chez nous, vous dis-je « .

Pierre Thibeault (ICI, Montréal, 6-12 juin 2002)